Naître dans une réserve Indienne, c'est un peu comme naître dans un autre monde. Personne n'était riche ni important, chacun avait sa place dans un environnement où nature et superstitions avaient encore leur place. Tallulah, petite fille comme les autres dans ce qu'on considérait plus comme des bêtes de foire en Amérique que comme des êtres humains, ne dérogea pas à la règle. Dès l'enfance, il ne fut question que des éléments comme dieux, et chacun fut sujet à une cérémonie en règle pour déterminer le premier prénom qu'elle porterait - A l'inquiétude des parents, il n'y eut que les flots dangereux de la rivière pour répondre à leur requête, et c'est du monde aquatique que l'enfant fut nommée Eau Bondissante. Présage double d'une vie qui se ferait entre deux mondes opposés, d'un caractère qui peinerait à trouver sa place, entre contourner le rocher ou se jeter sur lui. Toujours avoir un talisman en forme de chauve-souris dans sa poche devint normal, porter un collier de turquoises afin d'attirer paix et bonheur reste aujourd'hui encore un classique et offrir son regard à l'eau de pluie se révéla être bénéfique pour éloigner à jamais la maladie de sa personne. Toutes ces croyances firent-elles de la brune une personne rayonnante de bonheur ? ... Pas particulièrement.

L'enfance en elle-même ne provoqua pas de problèmes; Étudier dans un lieu clos au milieu des siens ne fait jamais de mal, quand bien même avez-vous tendance à sortir les poings plutôt que de réfléchir. On pouvait même considérer Tallulah comme intelligente, bien que sans grand intérêt pour les cours à proprement parler, et c'était une enfant qui révélait un certain talent dans tout ce qui se voulait artistique. Dessiner ? Un art maîtrisé à dix ans. La peinture n'eut droit aux perfectionnements qu'à la fin de l'adolescence, mais l'écriture resta à jamais sa façon de s'exprimer. Ceci dit, c'est sur un coup de tête violent qu'une fois l'âge venu l'Amérindienne réclama le droit de passer ses années de collège hors de la réserve, désireuse de découvrir ce monde contre lequel tous la mettaient en garde. Est-il utile de dire à quel point cette période de sa vie la fit mal tourner ? Il fallut se battre pour s'offrir une place, travailler encore plus dur pour ne pas subir les préjugés, et se faire violence pour ne pas céder trop régulièrement à l'envie de prendre la poudre d'escampettes dès que pierres et bitume lui portaient sur les nerfs. C'est au lycée seulement qu'elle découvrit sa voie dans la danse et abandonna résolument les apparitions devant les professeurs. Là également qu'un camarade de classe fou d'elle lui fit découvrir la photographie, désireux qu'il était de se présenter à un concours - qu'il gagna haut la main un an plus tard avec la photo d'une mystérieuse demoiselle dansant au clair de lune, uniquement vêtue de ses atouts de naissance. S'il n'y avait eut la plénitude ressentie quand elle-même se tenait derrière l'appareil, nul doute qu'une place lui aurait été offerte dans ce monde de clichés et d'images lisses.

Peut-être trop lisses pour qui portait en elle les éléments de la nuit et de l'eau; Ne jamais emprunter le chemin le plus facile, car il était celui qui ne réservait aucune surprise. Qu'importe leur sens profond, elles étaient toujours bonnes à prendre. Et de fait, c'est en quittant tout de son ancienne vie d'étudiante que Tallulah eut la chance d'être acceptée en tant qu'assistante photographe. Rien d'exceptionnel, le genre de personne qu'on ne remarque même pas. C'en était presque si on ne lui demandait pas plus souvent d'aller acheter le café que d'aider aux lumières ou aux cadrages. De fait, l'argent reçu était à la hauteur des efforts, et c'est de désespoir qu'elle eut l'idée saugrenue de répondre à une annonce pour se déshabiller aux yeux de ceux qui avaient de quoi payer. Quel était le problème, tant qu'elle pouvait danser ? Elle le découvrit vite. Trop vite, peut-être, que pour rester l'enfant rêveuse d'autrefois. Depuis son entrée dans ce monde, la beauté sombre devint aussi sombre et renfermée que le mystère d'une dame nocturne le réclamait, et si le mordant était toujours là, on ne pouvait pas en dire autant de l'assurance dès que le plancher n'était plus sous ses talons aiguilles. Un peu trouillarde, sans doute, à tel point que ce n'est qu'en se faisant surprendre à utiliser le studio de photo à son propre compte qu'on remarqua enfin son talent et qu'elle prit une place plus officielle au côté de son patron. Assez pour quitter l'autre monde ? ... Plus facile à dire qu'à faire quand on est devenu le jouet officiel de la mafia et la perle noire du club. Mais qui s'en soucie ?