Je suis à la bourre, pour ne pas changer. Cette situation ne m'est pas rare. six heures moins dix et je ne suis toujours pas en route, je dois voir Mr Canley aux alentours de dix-huit heures dans la forêt. Faut dire que ce rendez-vous s'est fait à la dernière minute, il y a peu, j'étais encore sous la couette bien au chaud et pas décidée à sortir du sommeil. J'ai eu beaucoup de mal à me réveiller, rien que pour mon frère de coeur, maintenant il m'en doit une, pour récompenser mon effort considérable ! J'adore la forêt, c'est très vert et ça respire la nature, normal que ce soit vert, me direz-vous. Parfois, je vais m'y promener, j'ai toujours l'impression qu'on me regarde quand j'y suis -ça fait toujours légèrement flipper- , alors j'ai fini par me faire à l'idée qu'il y avait peut-être de la vie animale dans ce lieu si naturel et si effrayant à la fois, maintenant je suis persuadée qu'il y a des animaux là-dedans, moi qui ai peur de tout ce qui bouge -et tous ce qui est de la vie animale, surtout-. Peut-être même que quand j'y suis allée pour la dernière fois, j'ai marché dans une « marque de territoire » -beurk- je ne pense pas à ce qui sort par l'arrière, pitié. C'est en pensant à cette chose très .. naturelle -décidément, la nature est mon mot du soir- que je finis de me préparer en quatrième vitesse, parce que sinon ça sera coup de pied au cul.

Je me rappelle encore le jour où j'ai rencontré ce bel étalon de Yoann, je ne pensais absolument pas qu'il allait devenir comme un frère pour moi, j'ai même pensé le mettre dans mon lit, mais celui-ci est déjà assez rempli. J'ai dû lui faire bonne impression, à me déhancher sur ce bar -presque un rituel pour moi-, puisque quand je lui ai proposé un verre, il n'a pas refusé. Après quelques tequilas cul sec et des dizaines de cocktails -pina colada, blue lagoon- ça devient tout naturel de montrer à tout le bar mes maigre talents de danseuse. Bien que certains apprécient grandement -la plupart du temps, eux aussi ont un coup dans le nez- d'ailleurs, je ne me rappelle plus si mon frère de cœur avait un coup dans le nez, certainement que oui, j'imagine. Après ce soir-là, nous nous sommes revus encore et encore. On ne faisait que discuter, mais j'appréciais nos discutions, ça me rappelait celles avec mon frère, qui lui est parti loin de moi, en France. A force de le comparer à mon frère, j'ai fini par le considérer comme tel. Ce qui est sûr et certains, c'est que je ne lui dirais jamais « frère de coeur » ça me paraît trop enfantin et plus de mon âge, alors c'est tout simplement Yoann ou Mr Canley.

Dix-sept heures cinquante et je ne suis plus très loin de la forêt, en voiture bien sûr, je n'aurais jamais eu le courage de parcourir la distance à pied et ça Yoann le sait. Je laisse ma voiture à l'entrée des bois, fermée à clés et les fenêtres remontées jusqu'en haut, je n'ai pas envie de retrouver une surprise dans ma voiture en revenant ! Ou ne plus voir de voiture du tout. C'est avec ces pensées en tête que j'avance pas à pas dans la forêt, je cherche Mr Canley du coin de l'oeil, il n'a pas dû s'enfoncer si loin dans les bois, nous restons toujours au bord, d'habitude. « BOUH ! » Et le voilà, le seul et unique. Ça me fait rire, puisque c'est une chose que mon vrai frère aurait certainement fait. Je me retourne et lui sourit. Puis sur un coup de tête, je le pousse dans le fossé et avec ce brusque mouvement, je m'entraîne -comme une cruche- avec lui. « Tu vas voir ce que tu vas voir ! Faire peur à Hazel Callahan, non mais ! » . Rien n'est jamais sérieux quand il s'agit de nous deux et je crois que nous le savons, nous en avons totalement conscience et nous assumons totalement notre folie. J'ai presque envie de rire d'un rire maléfique, mais il prendrait peut-être peur, qui sait ?