Tu étais née à Dallas, et comme pour chaque enfant, ta venue avait semé l'émoi sur la maison. Les tantes s'extasiaient, la belle-mère critiquait ta mère, la grand-mère radotait, les grands-pères parlaient du bon vieux temps, les oncles trinquaient à ta venue... Tes yeux bleus ravissaient ta mère, tes touffes blondes émerveillaient ton père, tes doigts minuscules étonnaient ton frère. Tout ce que tu connaissais était parfaitement normal. Un rien te faisait rire aux éclats, babiller. Et de jour en jour tu grandissais, tu t'embellissais, tu découvrais de nouvelle choses. Mais au grand dam de ta mère tu refusais d'être amie avec les garçons. Tu haïssais les robes, tu te battais comme un garçons, tu jouais au football comme un garçon. Combien de fois n'étais-tu pas revenue avec des ecchymoses, un oeil au beurre noir, la lèvre qui saigne ; tout en énonçant joyeusement que tu avais mis la tête au carré à telle ou telle personne ? Tu étais comme ça, ta mère devait bien s'en accomoder...

Pour tes douze ans tes parents t'offrirent un chien, un magnifique bouvier de l'appenzell. Il s'appelait Bolchoï, comme le fameux orchestre Russe. Tu le dressas admirablement bien. Avec toi il était tendre, joueur fidèle ; avec tes ennemis il était violent, agressif, menaçant. Il était devenu ton ombre. Tu l'emmenais même au collège et vu sa dégaine, les professeurs préféraient se taire et le laisser dormir sous ta table. Puis tu commenças à fumer, à boire, à te droguer, à fréquanter des gens pas franchement fréquentables ni politiquement corrects. Tu courais de dealer en dealer pour trouver de la bonne poudre. Tu avais beau t'être féminisée, te maquiller, porter des vêtements qui te mettaient plus en valeur, tu n'en restais pas moins dure et sans pitié pour une enfant de quinze ans. Pardon. Une jeune femme de quinze ans. Tu faisais peur. Un jour ma petite, tu mis la main sur un terrible secret. Ton père n'était pas directeur de finances pour une société d'assurances, oh non ; il était le gérant du plus grand réseau de trafic de drogues, d'armes lourdes et de faux-papiers de la ville. Il vous avait tout caché depuis tout ce temps. Tout. Humiliation ? Haine ? Peur ? Rancune ? Je ne puis dire ce qui te traversas l'esprit. Mais le résultat je peux le conter.

Flanquée de BolchoÏ, tu allas frapper à la porte du bureau de ton père pour lui dire ses quatre vérités. Une dispute exclama dont la teneur restera secrète mais ce qui est sûr c'est que vos cris résonnaient dans la maison entière. Ton frère avait préféré mettre sa musique à fond pour ne rien entendre et ta mère frotta ce jour-là la moquette si fort qu'elle faillit en arracher une partie. A un moment de la " conversation ", Bolchoï te sentit en danger et intervint. Il suffit à ton paternel d'un coup de feu pour en finir avec ce petit tracas. Et avec ta résistance. Souvent dans Lucky Lucke, on voit l'ombre du cow-boy être tuée. On venait de tuer la tienne. Mais contrairement aux bandes-dessinées, il n'y avait pas juste un trou dans le sol, mais du sang, beaucoup de sang. Cependant il n'y eut pas de peurs. Tes larmes restèrent restèrent sèches devant la dépouille du seul véritable ami que tu aies jamais eu. Et tu te tus. Tu sortis de la pièce en silence avec le corps du canidé dans tes bras, tu l'enterras en silence, creusant la tombe à la sueur de ton front. Tu restais dans ta chambre. Tu n'étais plus ni féroce ni violente ni acerbe ni cynique. Tu étais muette.

Mais un jour, après avoir passé plusieurs mois dans le silence, tu te levas et tu pris le pistolet qui était dans le premier tiroir de la commode. Celle qui était dans le salon. Puis tu entras et tu braquas l'arme sur la tête de ton père. Tu lui intimas en silence de se mettre à genoux, il s'exécuta. Et tu le tuas. En sortant tu tuas aussi ta mère. Et tu partis. Tu n'étais plus ni féroce ni violente ni acerbe ni cynique. Tu étais... Innocente. Je veux dire, tu ne l'étais pas vraiment mais tout en toi donnait cette impression, tu étais légère, tu réagissais un peu comme une petite fille à certaines paroles, tu riais beaucoup. Comme tu aurais dû le faire quand tu étais petite. Sauf que tu n'étais plus petite. Tu courus de petit boulot en petit boulot, sur les routes. Un jour tu rompis la solitude, tu achetas un chien avec ton argent dûrement gagné. C'était un magnifique chiot berger blanc suisse. Lui, tu l'appelas Trigger. Gâchette. Comme un souvenir. Vos tribulation vous menèrent à Newscastle, juste l'année de tes dix-huit ans.

Tu t'engageas dans l'armée de terre, car là-bas ton passé n'aurait pas d'importance.