« Ta mère est morte. » Maverick n'avait que sept ans quand la nouvelle était tombée, sortit de la voix dure et distante de son père. C'était à un repas de famille, où toute la famille serbe était présente, mais d'habitude eux si bruyant, n'osait pas dire un mot. Il fallait dire, entre la Yougoslavie qui se disloquait, les uns et les autres qui crevaient d'une ou de l'autre maladie, ça n'allait pas fort chez les Smirnov en ce moment. C'est à ce moment là qu'un vieux, qu'on avait isolé près du feu, un peu ivre, proposa qu'on ne l’appelle plus qu'Apollinaire en étouffant une sorte de rire. A cette proposition, chaque membre de la famille leva la main, et la décision fut prise une lettre à la mairie plus tard. Seulement quelques mois après, son père l'emmena en France, là ou avait vécu sa mère durant sa jeunesse, à Paris.

« Smirnoff » Ce n'était pas juste une phrase, c'était une appellation qui l'a suivit pendant plus de dix ans, et tous les jeux de mots pourries qui vont avec, lui qui n'a jamais bu une goutte d'alcool. Apollinaire détestait Paris, que ce soit la ville, les gens, même les pigeons ils les aurait tous tués s'il aurait pu. A l'école, on l'a vite rejeté, ce petit maigrichon qui ne peut pas courir longtemps et qui parle français avec un accent qui lacère chaque mot, sans pourtant jamais sortir un gros mot. Mais les brimades de ses camarades, incapable de prononcer son nom de famille correctement, auront raison de sa bonne éducation, très tôt, le gamin s'est mis à fumer, monter sur une planche à roulette et déchirer ses jeans, sans compter tous les gros mots qu'il pouvait sortir à la minute. Mais pourtant, il n'a jamais rien fait d'illégale ou autre, même pas une drogue douce dans ses cigarettes. Quand on a grandit entre les insultes racistes et la guerre presque devant sa porte, on apprend vite à respecter l'autorité.

« April, May et June. » Elles, et il, sont apparut respectivement à ses dix, onze et douze ans. Autant dire que son père n'a pas perdu de temps, à peine avait-il rencontré cette petite bourgeoise du seizième arrondissement qu'il l'avait marié et mise enceinte. Elle devait bien avoir dix ans que moins de lui, et c'était plutôt mal vu à l'époque, mais ils s'en fichaient. Il faut croire que c'était de l'amour, et cela perturbait grandement Apollinaire lui qui, à chaque pas fait dans Paris, sentait planer le fantôme de sa mère et toutes ses histoires qu'elle lui avait raconté. C'était pour ça qu'il détestait cette ville. Il voulait aussi détester ces nouveaux rejetons, mais force est de constater qu'a défaut de ne pas savoir si prendre avec les jeunes de son âge, il aimait bien les enfants, et savait s'y prendre avec eux, mais pas comme un père, non, il n'en avait jamais eut de père, il s'en occupait comme d'une vraie mère poule, avec les biberons et les histoires. Il s'en foutait que son père à lui soit plus proche de ses nouveaux enfants que de lui. Enfin, c'était ce qu'il se disait à lui-même. Mais ce qu'il y avait de bien dans ce remariage, c'est qu'enfin, Apollinaire pouvait vivre confortablement dans sa chambre, avec un frigo bien remplie et une famille à peu près normale. Et puis cette belle mère riche lui avait offert des cours d'équitation et pour ça, il était vraiment doué.

« Résultats insuffisants. » On lui avait déjà dix ça trois fois dans sa vie. La première fois, c'était à ses quinze ans, dans sa section de sport étude. L'équitation, ça l'avait vraiment pris, à vrai dire, il trouvait ça débile toutes ces gamines préparèrent avec des posters de chevaux partout dans leurs chambre. Non, lui, il se voyait déjà parcourir les quatre coins du monde, sautant des mètres et des mètres et allant jusqu'à gagner des médailles olympiques. Il était plutôt bon à vrai dire, un des meilleurs, jusqu'à une chute qui lui casse le ménisque. Il a tenté tant bien que mal de s'en remettre, mais il ne pouvait plus en faire autant qu'avant, il a dont du retourner faire des études normales. La deuxième fois, c'était lors de son bac. Après avoir quitté la section sport étude, il était devenu apathique, presque un fantôme sans vie, sans vraiment beaucoup d'amis et qui ne faisait pas grand chose en cours - sans pourtant en avoir séché un de sa vie - et le résultat était là : il n'avait pas son bac. A l'époque, ce n'était pas grand chose, fils d'ouvrier, il pourrait facilement trouver du travail grâce à Papa, mais il préférait faire des études, histoire de. Et puis il faut dire que sa belle mère mettait la pression aussi, il fallait bien qu'il fasse quelque chose de sa vie. L'informatique était le choix le plus judicieux, il savait bien se débrouiller sur un pc, mais là encore, manque de motivation et d'attention, malgré des efforts, les résultats étaient toujours insuffisants, à croire que ceux de sa classe n'avaient pas de vie et passaient leur vie sur un pc. Ce qui était le cas. Mais ce furent pourtant ceux avec qui il a été le plus proche.

« T'es moche, t'es con, tu ressemble à un vieux con et tu pues le tabac froid. Regarde toi, t'es qu'un déchet. J'étais enceinte de toi, j'étais heureuse, mais j'ai avorté, et je l'ai regretté. Mais quand je t'ai revu, j'ai sut pourquoi. Je voulais pas que mon gamin soit une putain d'épave. Je te quitte. » Marie, c'était une petite française, une bonne citadine, pas grosse pour un sou, grande et blonde et puis surtout fière. Et il faut dire qu'Apollinaire en était raide dingue, mais c'était plus le bon copain qu'autre chose. Dès qu'elle était là, il se transformait en clown pour la faire rire, et ça étonnait tout le monde de voir le serbe avec un sourire sur le visage. Elle n'a jamais fait attention à lui, jusqu'à ce qu'ils retrouvent dans le même amphithéâtre, dieu le garde d'avoir pris russe seconde langue (et pourtant, ça ne ressemblait pas au serbe ni de près, ni de loin). Donc de ses dix neuf ans, jusqu'à ses vingt et un an, Apollinaire sut ce que voulait dire le mot peine de cœur. Marie, elle était à lui et, officiellement, ils étaient ensemble, mais bordel qu'est ce qu'elle était chiante. Il lui fallait toujours quelques choses : des chaussures, une nouvelle écharpe, ce scooter là bas, oh regarde ce pantalon ! Et puis elle regardait souvent les autres garçons, les filles aussi, elle aimait bien boire, elle voulait profiter de sa jeunesse alors qu'Apollinaire lui, il se contentait de l'attendre un petit sourire en coin, histoire de dire que c'était sa petite amie, la fille la plus belle de la fête, elle était à lui. Et puis Marie, elle voulait le tuer, à vouloir faire l'amour trois fois par nuit alors que son cœur avait du mal à supporter un cent mètres. Et puis leurs disputes, ah, leurs disputes ! Tout Paris s'en souviendra, tellement ils ont pu se disputer, n'importe où, de jour comme de nuit. Mais ce jour là, ce fut le coup de grâce, avec des mots assassins comme elle savait les sortir. Elle ne pouvait pas simplement dire je te quitte ?

« Prends le ou c'est la boucherie. C'est marqué là dessus qu'il s’appelle Texas, il est pas ricain pourtant. » C'était le jour pile de son anniversaire, alors que cela faisait quelques mois qu'il était en Angleterre, petit boulots par ci par la. Et là, il passe dans l'arrière cour de la boucherie à coté de laquelle se trouve son appartement quand il voit le boucher ramener un poulain à l'abattoir. Bien sûr ça le dégoute, sans compter que le petit ne se laisse pas faire, effrayé par l'odeur de mort qui suintent de la porte d'entrée. Au bout de quelques minutes, le boucher arrête de tirer la bête que se cabre sans cesse et s'assoit sur le petit banc où Apollinaire regardait le spectacle. Il était sympathique, ce petit écossais grassouillet. C'était la première fois qu'il recevait un cheval et ça le dégoutait un peu de faire ça, lui il ne tuait pas les bêtes, il se contentait de travailler la viande. Un cheval de la boucherie, ça ne coute rien, mais, Apollinaire n'avait nul part où mettre ce poulain, encore moins une centaine de billets à sortir. Mais quand le boucher a sortit les papiers du poulain, le serbe fit une toute autre tête. Ce poulain, il valait beaucoup plus que neuf cent livres. Il en valait presque un million ! Mais voila, l'écurie qui l'a fait naître le trouve trop difficile, pas assez sociable... En cinq minutes, Apollinaire avait réussi à échanger le poulain au boucher contre son téléphone, sans que celui-ci ne se soucie de rien. La suite, tout le monde la connait, enfin, tous ceux qui lisent les journaux...